Une nature d'exception



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Etudes "Serpents"

Les oiseaux et les mammifères produisent leur propre chaleur corporelle. Ce n’est pas le cas des reptiles ; leur biologie est directement dépendante de la température ambiante qui affecte tous les aspects de leur cycle de vie, depuis le développement embryonnaire jusqu’à la vie adulte. Ce sont des animaux ectothermes*. Les lézards et serpents ont développé une grande diversité de stratégies pour faire face aux variations environnementales.  Par exemple, ils peuvent « réguler » leur température (dans une certaine mesure),  notamment  en s’exposant à la chaleur (directe ou indirecte), pendant des périodes plus ou moins longues.
Ce sont aussi des espèces bio-accumulatrices, c’est-à-dire qu’elles ont la capacité d’accumuler certains contaminants ; cette capacité d’accumulation est lié au fait qu’elles soient des prédatrices. Elles constituent donc un très bon indicateur de la qualité écologique d’un milieu.

On parle, dans ce cas et à double titre, d’espèce bio-indicatrice.

De par leur forte sensibilité climatique, illustrée par des limites géographiques très précises,  les serpents se retrouvent  en « première ligne » face au changement global. Le déclin de la biodiversité à l’échelle mondiale,  associé à la hausse des températures, provoque des modifications d’aires de répartition pour un nombre important d’espèces.  Certaines études récentes concernant la régression des serpents à l’échelle mondiale sont alarmantes. Les principales causes en  seraient la destruction des habitats, la baisse de population et la disponibilité des proies,  ainsi que les pollutions ; mais toutes les causes de ce déclin ne sont pas clairement identifiées à l’heure actuelle.

Les zones humides sont particulièrement impactées par les changements globaux : 64% des zones humides du globe ont disparu depuis 1900 ! Ainsi, le suivi à moyen terme de quelques espèces de reptiles, permettra  de mieux  appréhender l’influence de certains  facteurs (dont le changement climatique), mais aussi  de mettre en évidence leurs stratégies d’adaptation face à ces nouvelles situations,

Deux grandes études ont été lancées sur la Réserve Naturelle Nationale de Chérine,

  • la première est l’« Etude de la répartition de la Couleuvre vipérine (Natrix maura), la Couleuvre helvétique (anciennement appelée Couleuvre à collier) (Natrix helvetica) et la Couleuvre verte et jaune (Hierophis viridiflavus) sur la Réserve Naturelle Nationale de Chérine (Indre) »,

  • la seconde est le « Rôle des contaminants d’origine anthropique sur l’écologie et la physiologie de la Couleuvre vipérine ».

* Les organismes ectothermes ont une température corporelle identique à celle du milieu extérieur, elle n'est pas produite par l'organisme. C'est le cas des insectes, des reptiles et des poissons…
* Un transect est une ligne d'étude, souvent divisé en intervalles où les observations ou les échantillons sont prélevés.

Etude de la répartition de la Couleuvre vipérine (Natrix maura), la Couleuvre helvétique (Natrix helvetica) et la Couleuvre verte et jaune (Hierophis viridiflavus)
sur la Réserve Naturelle Nationale de Chérine (Indre)

Cette étude, réalisée sur 3 ans, a pour but de marquer et d’effectuer des mesures biométriques sur un maximum d’individus. Les sessions se déroulent de début avril à fin août.

Sur Chérine, les populations de couleuvres utilisent plusieurs types d’habitats :
-  les fossés,
- les mares,
- les digues d’étang,
- les lisières.

Le protocole mis en place est de type CMR (Capture-Marquage-Recapture).  La capture à vue de serpents est difficile, car ils se déplacent silencieusement et se fondent dans les hautes herbes ; une expérience certaine est donc nécessaire pour les capturer efficacement à vue.

C’est pourquoi en 2014 – année du début du suivi – 161 plaques de caoutchouc numérotées ont été réparties sur le site d’étude : 56 plaques sur les propriétés conventionnées par la Réserve,  les 105 restantes sur Chérine, sachant qu’elles sont systématiquement distribuées sur les 4 types d’habitats et regroupées par transect* de 7 plaques.

Les plaques ont été découpées dans des  tapis de carrière recyclés, aux dimensions d’environ 50 cm de largeur, 80 cm de longueur et 1cm d’épaisseur. Une cale est disposée sous chacune d’elles afin de les surélever légèrement et former un espace libre dans lequel les animaux pourront se faufiler. Ces plaques noires possédant un faible albédo, la température en dessous augmente beaucoup plus rapidement qu’à l’extérieur, par effet d’accumulation de la chaleur. De plus, elles sont orientées Sud/Sud-Est afin de capter un maximum le soleil.

Prospection

La prospection s'effectue les jours de beau temps et les jours nuageux. La prospection est inutile les jours de forte pluie car les serpents ne sont pas présents. Il est préférable d'effectuer la CMR le matin, les serpents étant en thermorégulation sous les plaques avec le soleil montant ; les jours venteux et nuageux donnent également de bons résultats. Quatre parcours de relevés différents sont mis en place. Les plaques de chaque secteur sont relevées soit en début ou fin de matinée, soit en début ou fin d'après-midi. Cette méthode permet d'exploiter le potentiel de chaque plaque. En effet, elles ne sont pas ensoleillées au même moment de la journée, certaines sont exposées favorablement le  matin et d'autres l'après-midi.

Technique de capture :

La  sécurité est une partie importante du protocole. Lors de la prospection il est essentiel de suivre les consignes de sécurité. Pour le relevé de plaque il est indispensable d’utiliser des gants (type gants de soudeurs) qui protègent les mains et une partie des avant-bras, empêchant les éventuelles morsures de vipères.

Les plaques sont retournées assez rapidement, pour surprendre les animaux éventuellement présents. Si une couleuvre est découverte elle sera ramassée ; en revanche si une vipère est identifiée, il est interdit d’y toucher,  car la manipulation de serpents venimeux nécessite une formation spécifique.

Le marquage :

Il  peut être effectué sur le site de la capture ou en laboratoire. Néanmoins il est préférable de marquer directement l'animal sur site pour éviter un excédent de  stress.

Tout d'abord on mesure l'animal, on le pèse, on note des remarques éventuelles sur l'individu (mue, cicatrice,...) puis on découpe délicatement une ou plusieurs écailles, d’après un codage établi qui permettra de l’identifier par la suite. Enfin, on pratique à l’emplacement des découpes précédentes, un marquage à chaud, nécessaire pour une  meilleure durabilité.

 

Suivi de populations de 3 espèces de couleuvres dans la Réserve Naturelle de Chérine

- Résultats -

La prise en compte des micro-habitats lisière, mare, digue et fossé a permis de voir la répartition des couleuvres sur la Réserve et les propriétés conventionnées.

Les 161 plaques n'ont pas immédiatement donné des résultats. Il a fallu que les serpents s’habituent à ces nouveaux sites de thermorégulation ; il faut en principe une période de six mois pour que les plaques soient bien utilisées.

La CMR montre que :

  • la population de Couleuvres vipérines (Natrix maura) n'utilise pas l'habitat lisière pour se déplacer mais dépend exclusivement  des habitats aquatiques ;

  • les Couleuvre helvétique (Natrix helvetica favorisent largement les digues d'étangs et les fossés, zones favorables aux proies ;

  •  Les Couleuvres vertes et jaunes (Hierophis viridiflavus) sont équitablement réparties sur le territoire malgré une préférence aux micro-habitats lisières par rapport à l'écologie de l'espèce même si elles fréquentent les biotopes humides.

Les espèces présentes mais non prises en compte

Sur le site d'étude de la Réserve Naturelle de Chérine il y a présence de la Vipère aspic (58 observations dont 5 sous plaques). La régression de la vipère a été véritablement marquée dans les années 90 avec l'explosion du sanglier sur le secteur. Toutefois avec l'effarouchement et la régulation (chasse à l'arc) de cette espèce à problème, les populations de vipères semblent se rétablir.

Une autre espèce était présente sous les plaques,  il s'agit de l'Orvet fragile (63 observations). Très présent en début de saison de prospection, les contacts avec ce lézard apode (sans pattes) se sont raréfiés au fil des mois. Sur la fin de la période de prospection cette espèce était totalement absente des plaques. Du fait de son écologie (milieu chaud et humide), il affectionne particulièrement les plaques avec une végétation fraîchement coupée avec un taux d'humidité important qui diminue progressivement.

 

Rôle des contaminants d’origine anthropique sur l’écologie
et la physiologie de la Couleuvre vipérine

 

Afin d’enrayer les possibles impacts des contaminants d’origine anthropique sur le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, il est essentiel d’en analyser les conséquences à l’échelle des organismes. Cette recherche concerne les produits phytosanitaires, ainsi que les éléments traces tels que les métaux lourds. Une des inquiétudes principales au sujet de ces contaminants, et notamment des produits phytosanitaires, est qu’ils se sont révélés être de puissants perturbateurs endocriniens pouvant modifier les fonctions principales des organismes (croissance, développement, reproduction, etc.).

Les reptiles peuvent apporter des informations essentielles.

La Couleuvre vipérine (Natrix maura) est un petit serpent inoffensif (moins de70 cm). Cette couleuvre aquatique se nourrit principalement de poissons, parfois d’amphibiens. Elle est donc largement dépendante des zones humides. Si cette espèce n’est pas considérée comme menacée par l’UICN, on constate une diminution importante des effectifs nationaux et régionaux. Elle est citée en annexe III de la Convention de Berne et est par ailleurs protégée par la loi en France.

Cette espèce est une excellente candidate pour quantifier l’impact des contaminants sur la faune aquatique pour plusieurs raisons :

  • ses capacités de déplacement et de dispersion sont très limitées (<1km), caractéristiques faisant de la Couleuvre vipérine un indicateur pertinent de la qualité de l’habitat à une très fine échelle spatiale ;

  • il s’agit d’un prédateur supérieur permettant d’appréhender les processus de bioaccumulations des produits phytosanitaires ;

  • cette espèce est semi-aquatique ; elle dépend du milieu terrestre pour thermoréguler et se reproduire et du milieu aquatique pour se nourrir, elle renseigne donc à la fois sur la qualité du milieu aquatique, mais également sur celle des milieux terrestres périphériques.

Dans ce contexte, le CNRS de Chizé a souhaité étudier les effets des produits contaminants sur la physiologie et l’écologie de la Couleuvre vipérine au niveau national. Concrètement, il s’agit d’évaluer les traits d’histoire de vie de cette espèce, tels que la densité des populations, les taux de croissance des individus, la reproduction, la locomotion, ou la réponse au stress, en comparant des populations de Couleuvre vipérine utilisant des milieux aquatiques caractérisés par des niveaux de contaminations contrastés. Il s’agira également de clarifier les voies possibles de détoxification utilisées par cette espèce (mue, œufs). La Réserve Naturelle de Chérine fait partie de la zone d’échantillonnage comme étant représentative d’un milieu peu ou pas contaminé.